RÉGLEMENTATION
Le SNVEL* a interrogé maître Gaëlle Moulin, avocate intervenant auprès des professions libérales, sur les impacts pour les vétérinaires de l’ordonnance du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées. Son entrée en vigueur n’interviendra qu’en septembre 2024. S’il est difficile d’apprécier la portée de cette ordonnance – de nombreux paramètres sont encore inconnus dans l’attente des décrets applicables à chaque profession, le texte est décevant concernant la protection de l’indépendance des professions libérales réglementées. L’ordonnance officialise la possibilité d’avoir une personne morale associée dans une société en participation.
SNVEL* : Concrètement, que change aujourd’hui l’ordonnance du 8 février pourles vétérinaires ?
Gaëlle Moulin, avocate, pour Resovet :
A ce jour : rien.
L’entrée en vigueur de l’ordonnance est prévue le 1er septembre 2024. Les sociétés concernées par l’ordonnance (SCP, SEL, SEP, SCM, sociétés coopératives, SPFPL) devront jusque-là respecter la législation actuelle.
Il faudra par ailleurs encore patienter pour en comprendre tous les contours. En effet :
- de nombreux points peuvent encore évoluer jusqu’à son entrée en vigueur,
- la loi de validation de l’ordonnance peut apporter des modifications aux textes,
- de nombreux points traités par le texte de l’ordonnance renvoient à des décrets, pris profession par profession, qui devront être adoptés en Conseil d’Etat et dont les textes ne sont pas connus à ce jour.
SNVEL : Quels étaient les objectifs de cette réforme ? Ont-ils été atteints ?
G.M. : Cette réforme poursuivait, notamment, les objectifs de « simplifier, clarifier et sécuriser le cadre juridique applicable à l’exercice en société des professions libérales réglementées » et « renforcer la protection de leur indépendance** ».
Concernant l’objectif de simplification et de clarification, l’ordonnance y répond partiellement l’existence d’un document unique est toujours plus aisée que la cohabitation de plusieurs textes.
Toutefois, le but n’est pas complètement atteint puisque les dispositions législatives antérieures relatives à l’exercice en société de professions libérales réglementées particulières demeurent « à côté » de l’ordonnance commune (par exemple pour les vétérinaires au 3° du I et au II de l’article L241-17 du Code rural et de la pêche maritime).
La technicité du sujet, sa densité et les différences de règles selon les familles ne conduisent toutefois pas à produire un texte « simple » d’accès ou de compréhension et « facile » à la première lecture.
Cette réécriture permet d’expliciter les dispositions applicables selon une grille de lecture envisageant le type de société (SCP, SEL, SEP et SPFPL) en fonction des familles professionnelles visées. S’il est vrai que certaines dispositions ont été clarifiées, il n’en demeure pas moins que la mesure des changements nécessitera une étude comparée des anciens textes et des nouveaux, les changements, parfois importants, se cachant le plus dans des « détails » sémantiques.
En ce qui concerne l’amélioration de la sécurité juridique, il est possible d’en douter sérieusement, au moins à court terme. Tout nouveau texte est sujet à interprétation. Toute « réécriture » induit un double questionnement : modification ou confirmation d’un sens initialement ambigu ?
SNVEL : Et concernant l’objectif de renforcer la protection de l’indépendance des professions libérales réglementées ?
G.M. : La révolution attendue n’est pas intervenue.
Le texte de l’ordonnance paru le 8 février 2023 constitue sur ce point une déception, peu de réponses étant apportées sur ce sujet à ce stade.
Les bouleversements un temps évoqués dans les avant-projets que nous avions pu consulter, prévoyant par exemple de réserver les actions de préférence aux associés en exercice au sein de la société (article 52 du projet d’ordonnance), ont été supprimés à la demande de certaines professions, déjà très engagées dans le phénomène de concentration et de financiarisation du marché.
Le terme « d’indépendance » est répété avec insistance dans les définitions données dans l’ordonnance, sans pour autant que l’on ne puisse définir les critères retenus pour considérer qu’un professionnel exerce de manière indépendante ou non : indépendance en terme financier ? Indépendance dans la gouvernances et les droits de vote ? Indépendance uniquement au titre des actes professionnels accomplis ?
Il faut toutefois remarquer la différenciation instaurée entre un professionnel exerçant et une personne effectuant des actes de gestion dans la structure qui va clarifier et parfois déstabiliser certaines organisations juridiques de groupes.
Le pouvoir de contrôle des Ordres est renforcé ou en tout cas précisé. L’article 44 de l’ordonnance, applicable de manière générale à toutes les SEL, impose de communiquer chaque année à l’Ordre :
- un état de la composition de son capital social et des droits de vote afférents,
- une version à jour de ses statuts,
- les conventions contenant des clauses portant sur l’organisation et les pouvoirs des organes de direction, d’administration ou de surveillance ayant fait l’objet d’une modification au cours de l’exercice écoulé, ce qui imposera sans aucun doute l’obligation de transmettre à l’Ordre les pactes d’associés.
Concrètement, ont toujours été transmis à l’Ordre les statuts de la société ainsi que le règlement intérieur régissant les règles d’exercice de la profession (organisation des congés, du planning, solidarité mise en place entre associés…).
Le pacte d’associés, lui, n’était usuellement pas considéré comme un document relatif à l’exercice de la profession. Ce document réglant les sujets juridiques et financiers d’entrées ou de sorties d’associés, de gouvernance… restait un document confidentiel, rarement communiqué aux tiers.
Pour chaque profession, des dispositions spécifiques complémentaires peuvent s’ajouter. Les modalités d’application de cette procédure d’information sont renvoyées aux décrets à venir.
Les sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL) doivent également communiquer chaque année à l’Ordre les mêmes informations (article 113).
Le projet, un temps envisagé, de créer des organes professionnels en plus des Ordres n’a pas été retenu dans la version publiée de l’ordonnance.
On peut à ce stade s’en réjouir, la pratique nous permettant de constater déjà d’importantes divergences régionales entre les Ordres d’une même profession, la création d’organes supplémentaires n’aurait sans doute pas aidé à la lisibilité et à l’unicité des pratiques applicables à chaque profession.
L’ordonnance prévoit, enfin, comme c’est déjà le cas pour la plupart des professions libérales réglementées, l’interdiction pour certaines catégories de personnes de prendre des participations dans le capital des sociétés d’exercice, directement ou indirectement (article 48 relatif aux SEL, articles 69 et 74 relatifs à la détention du capital des sociétés de professionnels de santé, articles 86 et 89 relatifs à la détention du capital des sociétés de professionnels des professions techniques et du cadre de vie).
À partir du 1er septembre 2024, dès que les conditions relatives à la gouvernance ne seront plus respectées, la SEL disposera d’un délai d’un an pour se mettre en conformité. À défaut, tout intéressé pourra demander en justice la dissolution de la société.
SNVEL : Concernant les SEL et les SPFPL, en dehors de l’obligation de communiquer à l’Ordre le pacte d’associés et les autres documents listés, faut-il s’attendre à d’autres changements ?
G.M. : L’article 47 de l’ordonnance prévoit clairement pour l’avenir la possibilité (sous réserve des dispositions propres à chaque famille de profession) qu’une partie minoritaire du capital soit détenue par des personnes morales exerçant la même profession que la société.
L’article 86 permet même expressément une détention majoritaire par une personne morale exerçant la profession, pour la troisième famille Professions techniques et du cadre de vie (celle à laquelle les vétérinaires sont rattachés), sous réserve d’un décret qui l’interdirait.
Cette faculté était déjà envisagée de manière ambiguë dans le 1° du I de l’article6 de la loi de 1990 pour les professions autres que de santé et sous réserve d’un décret qui l’interdirait.
En clair, il s’agirait d’avoir une SEL associée d’une autre SEL, au sein de laquelle pourrait donc remonter, le cas échéant, outre les rémunérations du capital (dividendes), une partie des rémunérations du travail (pour les fonctions techniques), ce qui constitue une perspective très intéressante en termes de structuration juridique des groupes et d’intégration de nouveaux associés, surtout dans le contexte fiscal actuel en matière de rémunération des associés de SEL.
Concernant les SPFPL, rien de très novateur, l’ordonnance nous apporte la confirmation de la possibilité pour les SPFPL de prendre des participations dans les sociétés à prépondérance immobilière détenant les murs de la clinique ou du cabinet. C’était déjà possible mais la rédaction des textes est désormais sans ambiguïté sur ce point.
SNVEL : Concernant l’exercice en SCP (société civile professionnelle), doit-on s’attendre à de grands changements ?
G.M. : Non :
- le capital des SCP reste interdit aux personnes morales, ce qui est très pénalisant compte tenu des incidences fiscales, sociales liées à l’impossibilité pour l’associé personne physique d’opter pour son assujettissement à l’impôt sur les sociétés, en termes de responsabilité et de capacité d’endettement personnel reposant sur les associés personnes physiques lorsqu’ils empruntent à titre personnel sous le régime BNC pour acheter les parts d’un associé sortant ;
- le droit de retrait est maintenu (c’est-à-dire l’obligation pour les associés restants d’acheter les parts de l’associé retrayant sous réserve que ce dernier ait respecté le formalisme prévu) ;
- le capital de la SCP reste fermé aux associés n’exerçant pas dans la SCP – un associé ne peut être membre que d’une seule SCP, sauf disposition contraire du décret particulier à chaque profession (article 8) ;
- les modalités pour transformer une SCP sont précisées ; à partir du 1er septembre 2024, la transformation d’une SCP en SEL pourra être décidée, sauf clause contraire des statuts, à la majorité des deux tiers des associés (par tête) ; attention toutefois aux incidences fiscales très lourdes pouvant être attachées à ce genre d’opération lorsqu’elle s’accompagne d’un changement de régime fiscal ;
- il n’est toujours pas possible de demeurer de manière pérenne en SCP unipersonnelle mais des délais supplémentaires sont prévus pour éviter la dissolution en cas de réunion de toutes les parts en une seule main.
SNVEL : Et pour nos confrères exerçant encore en société en participation (SEP) ?
G.M. : Une grande avancée de l’ordonnance, même si elle concerne en pratique peu de vétérinaires, consiste dans l’officialisation de la possibilité d’avoir une personne morale associée dans une SEP.
Ce schéma juridique, largement validé par la pratique et la majeure partie des Ordres professionnels (dont notamment celui des médecins…), faisait l’objet d’une analyse restrictive par certains Ordres régionaux, lesquels ont ainsi menacé de radiation des vétérinaires participant à une SEP via une SEL.
La rédaction sans équivoque de l’article 34 permettra donc à compter du 1er septembre 2024 de limiter les interprétations purement régionales de certains Ordres.
Cette remarque n’est pas sans appeler à certaines interrogations face aux prérogatives renforcées accordées aux Ordres par l’ordonnance en matière de contrôle du respect des règles d’indépendance.
SNVEL : Quelle est votre conclusion ?
G.M. : Il est difficile d’apprécier à ce stade la portée de cette ordonnance compte tenu notamment du fait que de nombreux paramètres sont encore inconnus dans l’attente des décrets applicables à chaque profession.
* SNVEL : Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral.
** Société professions libérales réglementées, ordonnance du 8 février 2023, vie-publique.fr
EN BREF
Transport : la Cour des comptes de l’UE propose de « monétiser » le bien-être animal
Les coûts du transport d’animaux ne représentent qu’une faible part du prix de détail de la viande, ce qui pousse « agriculteurs et producteurs de viande à exploiter les différences de coûts (de production, d’abattage…) entre les régions pour gagner en rentabilité », constate, dans une analyse publiée le 17 avril, la Cour des comptes de l’Union européenne. Or plus d’un trajet sur trois excède huit heures et les normes en matière de bien-être animal ne sont pas toujours respectées. Pour remédier à cette situation, et alors que la Commission européenne doit présenter des propositions en la matière d’ici la fin de l’année, la Cour des comptes suggère notamment d’« attribuer une valeur monétaire à la souffrance animale pendant le transport et de l’intégrer dans le coût du transport et le prix de la viande ». Une mesure qui pourrait encourager les sociétés de transport à prévenir les manquements concernant le bien-être animal et « permettraient de réduire au minimum l’attrait économique de pratiques non conformes ».
La Cour formule d’autres propositions, plus proches de celles sur lesquelles travaille Bruxelles : étiquetage, promotion du transport de viande plutôt que d’animaux vivants, ou encore recours aux outils numériques pour améliorer le suivi des conditions de transports d’animaux.
La Dépêche Vétérinaire | N°1664 du 13 au 19 mai 2023