TJ Paris, 28 juin 2024, n° 23/05932
Par une décision du 28 juin 2024, le Tribunal Judiciaire de Paris reconnait bien fondée une demande de parasitisme économique basée sur l’utilisation sans autorisation d’une photographie, tout en niant l’originalité et donc la protection du droit d’auteur de de celle-ci.
Dans cette affaire, la société SUCRÉ SALÉ, spécialisée dans la commercialisation de photographie culinaire, reproche à la société LE PETIT GOURMET TRAITEUR d’avoir publié sans autorisation sur son site internet des images lui appartenant.
Suivant la jurisprudence classique en la matière, le Tribunal Judiciaire refuse de reconnaitre l’originalité des images en question (I), toutefois, il reconnait que le parasitisme est constitué en l’espèce (II).
I. L’absence d’originalité d’une photographie banale : le Tribunal Judiciaire de Paris dans les clous
L’originalité, qui s’entend classiquement de l’empreinte de la personnalité de l’auteur, s’applique en matière de photographie par la démonstration de choix de l’auteur libres et indépendants portant sur la lumière, le cadrage, l’angle de la prise de vue, l’objectif, la composition de l’image puis son tirage (par ex. Cour d’appel, Paris, 10 mars 2015).
Si la jurisprudence admettait en premier lieu de manière assez large l’originalité des photographies, la construction jurisprudentielle récente semble tendre vers une approche plus restrictive.
Dans la décision commentée, le Tribunal Judiciaire de Paris décide ainsi, après une description exhaustive de la photographie, qu’on « ne peut conclure, au regard de ces éléments, à une mise en scène créative du plat traduisant la personnalité de son auteur ».
L’originalité écartée, la photographie ne peut donc bénéficier de la protection du droit de la propriété littéraire et artistique.
Cette photographie demeure-t-elle pour autant sans protection ?
II. L’indemnisation sur fondement du parasitisme économique : évolution pérenne de jurisprudence ?
1. Le parasitisme économique au secours du défaut d’originalité des photographies
Le parasitisme économique se définit comme le fait, pour un agent économique, de se placer dans le sillage d’une entreprise en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété, ou encore de ses efforts et de son savoir-faire (Cour de Cassation, 10 juillet 2018).
Il suppose la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.
Les tribunaux de commerce ont tendance à adopter une position libérale et à reconnaitre difficilement les cas de parasitisme économique, toutefois le Tribunal Judiciaire de Paris semble développer une approche plus protectrice des intérêts des photographes.
Le fondement du parasitisme économique est régulièrement invoqué en matière de droit d’auteurs pour pallier un défaut de protection des œuvres, par exemple lorsque l’originalité d’une œuvre fait défaut (ce qui est régulièrement le cas en matière de photographie).
C’est la stratégie employée par la société SUCRÉ SALÉ en l’espèce : pressentant que la photographie invoquée ne bénéficierait pas de la protection du droit d’auteur, elle invoque subsidiairement le parasitisme économique dans le but d’obtenir une indemnisation financière.
En réalité la société SUCRÉ SALÉ n’en est pas à son coup d’essai, la décision commentée étant la troisième rendue par le Tribunal Judiciaire de Paris en moins d’une année pour des faits similaires.
2. Une nouvelle jurisprudence en construction
Si tous les jugements sont unanimes quant à l’absence d’originalité des clichés en cause, au fil des décisions, les juges semblent adopter une position de plus en plus répressive à l’égard des reproductions sans autorisation des photographies :
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- Dans une première affaire en date du 24 novembre 2023, le Tribunal Judiciaire de Paris déboute la société SUCRÉ SALÉ de sa demande fondée sur le parasitisme économique, et pour cause : la reproduction de la photographie n’était pas réalisée à titre lucratif, elle ne constitue donc pas une faute, la société SUCRÉ SALÉ n’est dès lors pas recevable à invoquer le parasitisme économique (TJ Paris, 24 novembre 2023).
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- Dans une seconde affaire du 29 mai 2024, le Tribunal Judiciaire de Paris considère que l’utilisation de l’image à des fins de promotion de ses propres produits par le défendeur constitue une faute délictuelle.
Il indemnise cette fois le préjudice moral de SUCRÉ SALÉ et semble prendre également en compte le coût de la licence qu’aurait dû payer la société pour l’utilisation le cliché sans autorisation (TJ Paris, 29 mai 2024).
Cette évolution dans l’appréciation de la faute et l’indemnisation du préjudice par le Tribunal Judiciaire de Paris est confirmée par le jugement commenté, qui indemnise la société SUCRÉ SALÉ de manière plus extensive que les précédents jugements :
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- 2 000 € au titre du préjudice patrimonial, soit 500 € par image utilisée (qui regroupe les tarifs des licences proposées par la société SUCRÉ SALÉ ainsi que les frais de détection des photographies qu’elle a dû engager) ;
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- 800 € au titre du préjudice moral qui résulte de l’atteinte à sa propriété et à son modèle économique ;
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- 3 500 € au titre des frais de procédures engagés.
Ce dernier jugement en date élude le questionnement concernant l’utilisation à titre lucratif ou non de la photographie.
La faute est ici constituée par la réutilisation de photographies qui « représentent une valeur économique, dans la mesure où elles résultent du travail d’un professionnel, qui détient un matériel et une technique dont la mise en œuvre a un coût. Leur mise à disposition nécessite en outre l’établissement d’une base de données, ce qui justifie de la part des utilisateurs, le paiement d’une licence ».
L’utilisation à but lucratif – ou non – semble donc inopérant pour caractériser la faute.
Le Tribunal Judiciaire de Paris semble donc adopter une position plus favorable aux banques d’images, leur permettant d’être indemnisées en cas d’utilisation non-autorisée de leurs images, sans avoir à démontrer que celles-ci sont éligibles au droit d’auteur.
Les cas similaires semblent de plus en plus nombreux, les banques d’images n’hésitant pas à engager des procédures pour de très faibles sommes (par ex : TJ Paris, 27 juin 2024, n° 22/02990).
Il existe toutefois des bons réflexes à adopter pour éviter un contentieux :
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- Lors de la création de votre site internet ou article en ligne : vérifiez systématiquement la source des images utilisées ;
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- assurez vous par écrit auprès de votre prestataire (agence de communication, webdesigner, etc. …) que son travail respecte les droits d’auteur d’autrui ;
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- Si besoin : payez les droits afférents (licence, …) ;
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- Si vous recevez un courrier relatif à une image utilisée sans autorisation, retirez immédiatement l’image en question. Ne serait-ce qu’à titre conservatoire ;
Et comme toujours :
- En cas de doute, contactez votre avocat.